Il y a 8 semaines, on fermait l’école. J’allais passer le plus clair de mes journées chez moi, avec mon épouse et mes filles dans l’appartement, dans mon bureau le plus clair de mon temps, pour préparer les cours, gérer mes élèves, animer les vidéo-conférences avec eux, pour mon activité d’indépendant également, pour mes loisirs photos – disons au moins les développements en retard. Tout dans la même pièce, presque toute la journée au même endroit… au moins mes filles savent où me trouver !
Je n’ai vraiment pas de quoi me plaindre. J’aime travailler seul, au calme – ça c’est plus relatif, le bruit est de moins en moins agréable au fur et à mesure des semaines – et j’ai tout l’équipement nécessaire : informatique et multimedia, mais aussi bureau assis-debout installé il y a un mois par Bois &Design et fauteuil confortable… Tout ce qu’il faut pour travailler, de longues heures, de longues journées, pendant pas mal de semaines.
Si les premières semaines ont été rock’n’nroll et très remplies, le rythme s’est installé petit à petit et, juste avant les vacances de Pâques, tout tournait bien, de manière assez équilibrée. Le week-end de Pâques a été extraordinaire et contrasté. Nous sommes partis en famille dans un chalet au milieu de la forêt, sans électricité, ni salle de bains, ni eau chaude, ni 4G !!! Une belle expérience en famille qui a permis de changer de rythme, d’occupations, et de face-à-face. Le programme est très léger, les activités aussi. La vue est dégagée, les oreilles entendent le bruissement du vent dans les arbres et les chants d’oiseaux… En ville, c’était devenu beaucoup plus calme, ici c’est le paradis !
Et puis, c’est le retour, les vacances, sans élèves à gérer à distance… mais avec le travail pour les clients à rattraper. Et le travail reprend ses droits… peut-être même un peu trop. Les projets s’enchaînent, nouveaux, anciens à terminer, et même des choses qui étaient en attente depuis longtemps. Du coup, ce n’est plus du tout le farniente et l’oisiveté dont on parle à la télévision – ça ne l’a d’ailleurs jamais été !
Maintenant, depuis presque 2 semaines, on prépare et on se prépare au retour à l’école… mais pas au retour à la normale. Il y a du travail à faire… mais aussi des émotions, du stress, de l’incertitude à gérer. Ce sera une nouvelle étape, une nouveauté de plus.
Mais de toutes ces semaines à la maison – que reste-t-il ?
Quelles sont les prises de conscience qui vont rester, les bonnes résolutions qui vont durer ?
Au-delà du travail accompli, du traitement de l’urgence, il y a eu un certain nombre de prises de conscience… et de bons moments passés ensemble.
- Déjà des horaires plus légers, plus normaux, sans levers aux aurores et soirées avachis dans le fauteuil par manque d’énergie. La journée commence plus tard, se vit de manière plus légère, et se poursuit en famille. Il n’est pas rare que je travaille jusqu’à 22h mais sans pression, sans être exténué à la fin. L’absence de transport en commun est également un grand facteur d’apaisement. Pas d’horaire à respecter, à part les visio-conférences du lundi et du vendredi à 9h, pas de foule à affronter, de place à se faire dans le trafic humain.
- Le rythme de la journée est également plus naturel : repas en famille, matin, midi et soir. Coucher des filles plus paisible : si elles vont dormir plus tard ce soir, elles dormiront plus longtemps demain – ou au moins elles resteront calement au lit. Finalement, les seuls stress – pour moi – sont les commissions à effectuer dans un univers que je trouve anxiogène, voire morbide. Se battre contre un invisible, c’est vraiment pas clair !
- Il y a aussi les premières prises de conscience sociétales. Il n’y a plus de farine dans le supermarché, pas de problème, il y a la ferme bio sur la colline qui nous fournira du bon blé moulu à la pierre… Mais pourquoi n’y aller que quand on ne peut pas faire autrement ? Parce que c’est plus cher ? Oui, bien sûr, mais c’est de meilleure qualité et, surtout, cela fait vivre un artisan, avec sa famille, plutôt que d’enrichir les trop riches actionnaires des grands magasins, suisses ou étrangers. Alors la réflexion se fait, petit à petit, crise ou pas crise, c’est de là que viendra notre farine. Toute l’année. C’est un choix humain, pas économique.
- Il y a aussi les réflexions spirituelles. Où en suis-je avec ma foi ? Bien sûr, je crois en Dieu mais où en est ma relation avec lui ? On ne va plus à l’église, on ne peut plus. Mais l’église vient à nous de bien des manières. Les cultes sur Youtube sont de plus en plus nombreux, il y a aussi des émissions spéciales faites quotidiennement, matin et soir, pour ceux qui sont seuls, ou qui n’ont plus rien à faire. Je n’arrive pas à suivre le rythme mais parfois je les regarde, et je suis interpelé. Comme lorsqu’un pasteur, gravement atteint par cette maladie dans sa santé, nous rapporte son vécu avec Dieu sur son lit d’hôpital. C’est aussi dans ce rythme plus calme que je peux reprendre de manière plus assidue ma méditation matinale, sur le balcon, au soleil la plupart du temps. Privilège de confiné, à réinventer dans les semaines de la vraie vie.
- Il y a aussi, cette prise de conscience, peut-être à l’image du virus, pas très organisée, pas très formalisée, mais bien réelle. Notre sécurité ne tient qu’à un fil. Economie, santé, société,… tout peut être ébranlé. Quelles sont les valeurs sont importantes pour moi ? En quoi est-ce que je mets mon assurance ? À quoi est-ce que je tiens vraiment ? C’est un peu comme si, secoué, certaines choses perdent bien de l’importance alors que d’autres en prennent… comme ma famille.
- Il y a quelques mois, nous avons fait appel à un planificateur financier pour nous aider à mettre en perspective nos plans d’épargne et de prévision actuels et pour la retraite. Pour la première fois, j’étais confronté à l’après travail… et à la fin de mon parcours terrestre. Avec ce virus, il m’est arrivé de m’interroger sur l’éventualité de ma mort. Ce n’est pas mon travail, ni mes élèves, ni mes sites internet, ni même ceux de mes clients – désolé pour vous – qui m’inquiétaient le plus mais mon épouse et mes filles. C’est pour elles que je ne veux pas mourir, et donc surtout avec et pour elles que je veux vivre les années qui me seront encore données.
Cette crise ne changera pas la société, les habitudes sont trop ancrées, les mécanismes comme des ornières trop profondément creusées… mais le vrai changement commence par chacun d’entre nous.
On ne peut pas tout changer mais chacun, on peut changer quelque chose.
Philippe Decourroux
En soi d’abord. Si je change, si nous changeons, … cette crise n’aura peut-être pas été vaine.